Frasne

 


Pontarlier

LE ROND-POINT ANDRÉ MALRAUX

ET SA STATUE

 

Le 12 décembre 2017, l’association des Contribuables Associés a llancé un concours du pire rond-point de France pour dénoncer le gaspillage d’argent public.« Loufoques, mal agencés, laids, coûteux…», dix ronds-points ont été sélectionnés en vue de faire participer les internautes au vote du pire rond-point de France.

L’annonce de ce concours a été relayée par les réseaux sociaux (Facebook), par des sites internet (Le Bonbon…) et par de nombreux médias nationaux (Capital, 20 minutes…) ou locaux (Le Dauphiné libéré, Sud-Ouest, L’Est républicain, Plein Air…).

L’article de L’Est républicain paru le 19 décembre 2017 a même été repris deux jours plus tard dans le billet de Patrick Cohen diffusé sur Europe 1.

Parmi les 10 postulants à ce titre, le rond-point Malraux figure en première position (avant le résultat du vote) dans la liste établie par les Contribuables Associés avec la « profession de foi » suivante :

 

« Oui, ce que vous voyez, est bien un “masque” de l’écrivain et ministre de la Culture du Général De Gaulle…

Commune : Pontarlier (25 300) dans le département du Doubs | créé en 1998 | Auteur : Bernard Paul, en prolongement d’un projet pédagogique conduit par une classe de 4e de Pontarlier.

Coût : 100 000 francs, soit 15 000 euros, pour la construction de la statue (hors frais de construction du rond-point), financé par la ville de Pontarlier et le département du Doubs.

Ce rond-point nous a été signalé par Josiane F. »

 

 

LE VOTE DES INTERNAUTES

 

Le 9 janvier 2018, les résultats du vote ont été publiés sur le site des Contribuables Associés : « Le “masque d’André Marlaux” à Pontarlier élu pire rond-point de France (concours 2018) ! »

À noter au passage la faute de frappe (non corrigée à la date du 13 janvier 2018) qui donne à ce rond-point un air de « Capitaine Marleau », titre d’une série télévisée diffusée sur France 3 à partir de septembre 2015.

Au total, ce sont 12 538 internautes qui ont participé à ce vote clôturé le 8 janvier 2018. Le rond-point André Malraux arrive largement en tête avec 4 078 votes, soit 33 % des voix des internautes. Suivent celui du cadran solaire de Perpignan dans les Pyrénées-Orientales (2 595 voix, soit 21 % des votes) et celui de Cugnaux dans la Haute-Garonne (2 101 votes, soit 17 % des voix).

Ce vote a été également largement diffusé sur les réseaux sociaux et dans les médias. Le rond-point de Pontarlier a même eu droit à l’ouverture du journal télévisé de Jean-Pierre Pernaut sur TF1 le 10 janvier 2018 avec un reportage d’environ deux minutes.

 

 

CRÉATION D’UN ROND-POINT

 

Dénommé à l’origine collège du Larmont, le collège Malraux a ouvert ses portes en septembre 1987. Mais il faut attendre 1996 pour que la décision de créer un rond-point soit prise, notamment pour des raisons de sécurité (sortie dangereuse du collège). En avril 1996, le devis estimatif s’élève à 2,8 millions de francs. La Ville de Pontarlier et le Département du Doubs s’engagent chacun pour 874 000 francs et l’État, maître d’œuvre, pour un peu plus d’un million de francs (L’Est républicain, 10 juin 1997). Citant la directrice des Archives municipales de Pontarlier, L’Est républicain du 19 décembre 2017 publie un montant très différent : « Le carrefour avait coûté 140 000 francs, avec une subvention de 50 000 du conseil général. » Cherchez l’erreur !

 

 

UN PROJET INTERDISCIPLINAIRE

 

Au cours de l’année scolaire 1996-1997, pour le 10e anniversaire du collège, un projet interdisciplinaire réunit les élèves d’une classe de 4e. S’engage alors un travail portant sur douze facettes d’André Malraux : Le dessinateur, L’homme de l’art, Le collectionneur, Le romancier, Le poète, Le mémorialiste, Le ministre de la Culture, L’homme public, L’ami des peuples, L’aviateur, Le résistant et L’esthète séduit par la Chine.

Un autre axe du projet concerne la création de douze œuvres en bois reflétant les facettes du personnage. La découpe de ces œuvres aux formes symboliques est confiée aux élèves du Lycée professionnel Toussaint-Louverture de Pontarlier. Le 28 mars 1998, lors d’une journée « Portes ouvertes », le travail réalisé par les élèves est présenté au public.

Un autre objectif du projet est aussi de réaliser une sculpture monumentale en extérieur. Le rond-point, dont les travaux débutent en mars 1998, est le lieu idéal pour l’implantation d’une telle œuvre. Le choix de l’artiste qui réalisera la sculpture se porte sur Bernard Paul, qui peut prendre en charge totalement la réalisation technique de ses œuvres. Après une rencontre avec les différents participants au projet éducatif, Bernard Paul propose une maquette en trois dimensions.

Cette maquette d’environ un mètre de haut contient des éléments symboliques sur Malraux : un livre pour représenter l’écrivain, une hélice d’avion symbolisant son rôle lors de la guerre civile en Espagne et des profils de visages. Une maquette qui n’a rien à voir avec le masque du rond-point !

 

 

LE PROJET DE LA VILLE DE PONTARLIER

 

À cette époque, la Ville de Pontarlier a le projet de mettre des œuvres d’art dans différents secteurs de la ville. C’est ainsi que deux sculptures font leur apparition en ville : un bison dans la cour de l’actuelle médiathèque (entre la rue de la République et celle des Remparts) et un couple immense aux Grands Planchants. Ces deux statues ont été prêtées par la commune de Noidans-le-Ferroux en Haute-Saône, dont le maire n’est autre que le frère d’un des adjoints au maire de Pontarlier qui est alors André Cuinet. Quant à l’artiste qui a réalisé les statues, il se nomme… Bernard Paul et il a été chargé de concevoir la statue au rond-point Malraux.

Le Rond-point André Malraux

 

LA DÉNOMINATION DU CARREFOUR

 

Par décision du 24 juin 1998 adoptée à l’unanimité, le Conseil municipal de Pontarlier décide « de dénommer le carrefour constitué par l’avenue de l’Armée de l’Est et la R.N. 57 : “carrefour André Malraux” ceci consécutivement à sa rénovation.

La Ville souhaite honorer la mémoire de ce grand homme d’État et de culture, et ce d’autant qu’elle a réalisé en collaboration avec le collège voisin qui porte son nom, une sculpture à son effigie réalisée par Bernard Paul, installée au centre du carrefour. »

 

 

LA STATUE SUR LE ROND-POINT

 

La statue de Malraux est installée le mercredi 30 septembre 1998.

Dès le 2 octobre 1998, L’Est républicain dit que la statue « suscite la controverse », des élèves croyant même qu’il s’agissait d’un sioux. Le lendemain, dans les colonnes de ce journal, un entrefilet est intitulé « C’est la faute à Malraux » :

 

« Si quand on tombe par terre, c’est la faute à Voltaire, à Pontarlier, quand on casse l’auto, c’est la faute à Malraux. La surprise des automobilistes découvrant la statue de l’écrivain ministre qui orne le rond-point du Larmont est sans nul doute à l’origine de plusieurs accrochages qui se sont produits avant-hier à ce carrefour. »

 

Le 10 octobre 1997, la statue est inaugurée en présence du sculpteur, Bernard Paul, du sous-préfet de Pontarlier, M. Condemine, du principal du collège Malraux, M. Joël Marchandot, et de l’adjoint au maire de Pontarlier, M. Dominique Benoît-Gonin.

La statue commence à être l’objet de discussions. Le choix de sa position est délicat : où le regard de Malraux doit-il être dirigé ? Question cruciale ! Finalement, il est orienté en direction du collège et de la ville, tournant ainsi le dos aux voitures qui arrivent de La Cluse-et-Mijoux ou de la Suisse.

De plus, la statue n’a plus rien à voir avec la maquette qui avait été réalisée en trois dimensions, ce qui ne pouvait que mécontenter les enseignants. Telle qu’elle a été conçue, la statue aurait dû être placée contre un mur et non au centre d’un rond-point.

Le rond-point André Malraux à Pontarlier

 

LE FINANCEMENT

 

Le projet rentrait dans le cadre du financement du fameux « 1 % artistique » dans les constructions publiques, dispositif qui est destiné à soutenir la création et à sensibiliser les citoyens à l’art de notre temps. Ce dispositif, qui fut mis en place en 1951, prévoyait en effet que 1 % des sommes consacrées par l’État pour chaque construction d’établissement scolaire ou universitaire devrait financer la réalisation d’une œuvre d’art contemporaine intégrée au projet architectural. Ce 1 % est d’ailleurs souvent associé à tort à André Malraux puisque celui-ci fut ministre d’État des Affaires culturelles du 8 janvier 1959 à juin 1969. Jacques Duhamel, ministre des Affaires culturelles de janvier 1971 à avril 1973, étendit le système du 1 % à tous les établissements publics. Enfin, avec les lois de décentralisation des 7 janvier et 22 juillet 1983 modifiant la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, les collectivités locales furent mises à contribution.

Des négociations eurent donc lieu entre la Ville de Pontarlier et l’artiste. À la baisse. Pour des raisons budgétaires, la statue fut donc simplifiée et, par conséquent, le projet de la maquette initiale fut « dénaturé ».

Quant au coût lui-même, le site des Contribuables Associés indique : « 100 000 francs, soit 15 000 euros, pour la construction de la statue (hors frais de construction du rond-point), financé par la ville de Pontarlier et le département du Doubs. »

 

 

QUAND LA POLITIQUE S’EN MÊLE

 

Le choix de la dénomination du collège a été fait contre la volonté des premiers enseignants du collège qui, dès sa création, ne voulaient pas qu’il soit appelé André Malraux, mais soit dénommé tout simplement collège du Larmont. Cette appellation est tout simplement une référence à la toponymie locale puisque le collège a été construit au pied d’un massif montagneux (« Montagne du Larmont » sur les cartes de l’I.G.N.) qui domine la ville de Pontarlier et dont le point culminant, Le Grand Taureau, est situé à 1 323 mètres d’altitude. L’ancien cadastre napoléonien, terminé sur le terrain en septembre 1826, est composé, entre autres, de la Section B, du Larmont (4 feuilles) et de Section C, dite sur le Larmont (3 feuilles).

L’alternance politique des maires de Pontarlier en a décidé autrement tant pour le nom du collège que pour le rond-point et la statue.

L’ancien collège vers la Gare, qui avait rouvert ses portes le 13 septembre 1979, avait été baptisé Collège Philippe Grenier en mai 1980. Né à Pontarlier le 14 août 1865, Philippe Grenier fut médecin et député de l’arrondissement de Pontarlier. Il est surtout connu nationalement pour être le premier député musulman à siéger à l’Assemblée nationale et localement pour être d’une grande bonté et parfaitement désintéressé. Il est mort le 25 mars 1944 à Pontarlier.

En 1980, la municipalité de Pontarlier avait alors à sa tête Denis Blondeau, un maire P.R.G. (Parti radical de Gauche) qui, en 1977, avec la liste d’Union de la Gauche, avait battu celle d’Edgar Faure qui fut ministre au sein de nombreux gouvernements (il fut ministre de l’Éducation nationale de juillet 1968 à juin 1969).

En 1988, le Conseil municipal de Pontarlier, alors dirigé par Roland Vuillaume, député R.P.R. (Rassemblement pour la République) de 1980 à 2002, choisit de donner le nom du nouveau collège à un homme politique de droite : André Malraux, dont la carrière fut associée à celle de Charles de Gaulle.

De 1989 à 1995, le maire de Pontarlier était un socialiste : Yves Lagier. L’année 1995 vit le retour de la droite aux affaires pontissaliennes avec André Cuinet et ce fut sous son mandat, écourté par une condamnation par la justice, que le rond-point fut doté de la statue du sculpteur Bernard Paul. Mis en examen le 24 septembre 1996 pour « prise illégale d’intérêts, trafic d’influences, recel d’avantages injustifiés, recel d’abus de biens sociaux, faux en écritures et usage de faux » (site LesEchos.fr) , André Cuinet, maire de Pontarlier et vice-président du Conseil général du Doubs, qui démissionnera de tous ses mandats politiques après sa condamnation le 14 octobre 1999, n’a pas assisté à l’inauguration de la statue. La Ville de Pontarlier était représentée par son adjoint à la Culture, Dominique Benoît-Gonin.

 

UN PEU D’HUMOUR

 

Si la ville de Pontarlier peut s’enorgueillir d’avoir maintenant le plus moche rond-point de France, elle faisait toujours partie en 2017 des… « Plus Beaux Détours de France ».

En fin de compte, tout cela fait parler de Malraux et de Pontarlier…

 

Comme le relevait déjà, en patois, en 1857 Édouard Girod dans son « Esquisse de la ville de Pontarlier » :

 

On ot biau verie, devérie,

On ne voit ra de té que Pontalie !

 

On a beau tourner, retourner,

On ne voit rien de tel que Pontarlier !

Statue d'André Malraux (détail)

 

À MÉDITER

 

« Avez-vous regardé les portraits ou les visages des hommes qui ont défendu les plus belles causes ? Ils devraient être joyeux — ou sereins, au moins... Leur première expression, c’est toujours la tristesse… »

André Malraux. « L’espoir » (1937).


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