Frasne

 


Biographie du capitaine Accart

Gardien du Ciel
Chasseurs du Ciel

Quelques dates de la vie du capitaine Accart

7 avril 1912
Naissance de Jean Accart à Fécamp (Seine-Maritime)
1932
Entrée dans la Marine nationale (Aéronautique Navale)
1933
Brevet de pilote à Avord
1936
Entrée à l'Armée de l'Air où il rejoint la SPA 67 de la 5e escadre de chasse
mai 1940
Commandant de la 1ère Escadrille du Groupe de Chasse 1/5
mai-juin 1940
12 victoires sûres et 4 probables lors de ses combats aériens
1er juin 1940
Blessure à la tête lors du combat aérien au-dessus de la région de Frasne (Doubs)
hiver 1940-1941
Écriture du livre "Chasseurs du ciel" pendant sa convalescence
novembre 1941
Commandant de la nouvelle section de perfectionnement à la Chasse de l'école de l'Air de Salon
mars 1943
Placé en congé d'armistice
octobre 1943
Passage en Espagne
1944
Commandant du groupe II/2 "Berry"
décembre 1947
Chef du cabinet de l'État-Major de l'Armée de l'Air
mars 1948
Directeur adjoint du Centre d'Essais en Vol (CEV) de Brétigny-sur-Orge
juillet 1951
Colonel
février 1952
Inspecteur de la Chasse
septembre 1952
Commandant de la Base Aérienne 112 de Reims
octoàbre 1955
Deuxième sous-chef à l'État-Major de l'Armée de l'Air
avril 1957
Chargé de mission auprès du général chet d'État-Major de l'Armée de l'Air
21 novembre 1960
Commandant du 1er Commandement Aérien Tactique (CATAC), basé à Lahr en Allemagne, et des Forces Aériennes Françaises en Allemagne)
janvier 1961
Général de division
mars 1962
Général de corps aérien
30 mars 1965
Démission de l'Armée de l'Air (car le développement du Plateau d'Albion est préféré à celui du programme Mirage IV)
juillet 1965
Remise par le général de Gaulle de la Grand-Croix de la Légion d'Honneur
19 août 1992
Mort de Jean Accart à La Gaude (Alpes-Maritimes)

Histoire du combat aérien livré au-dessus de Frasne
par le capitaine Accart le samedi 1er juin 1940


"CHASSEURS DU CIEL"

 

Chasseurs du ciel par le capitaine Accart
Dans le chapitre VI (pages 159-169) de son livre "Chasseurs du ciel", paru aux éditions Arthaud en 1941, le capitaine Accart raconte sa "dernière mission", c'est-à-dire le combat aérien qu'il livra au-dessus de la région de Frasne le 1er juin 1940. Ci-dessous vous trouverez le texte intégral de ce récit.


CHAPITRE VI

DERNIÈRE MISSION

1er juin.

" 1/6 ; Curtiss 151, 3 atterrissages. Durée 3 heures. - D. A. T. "
Aujourd'hui, après cinq mois, quand je regarde ces deux lignes uniques et sobres, je retrouve l'atmosphère simple de nos combats.
Ce jour-là, mon fils aîné avait sept ans, l'âge de raison, dit-on, comme si les hommes étaient un jour raisonnables !
J'avais décollé, encadré de P… et Le Calvez, pour intercepter au retour une expédition de bombardiers signalés dans la région de Bourges, avec l'ordre de me porter au sud de Chaumont en attendant des précisions.
Quelques minutes après l'envol, la station radiotéléphonique de campagne a une panne d'émission. Elle va sans doute pouvoir réparer ; je continue cap au sud, en prenant de l'altitude. La visibilité est excellente, et même sans être guidé par radio, j'ai une chance d'apercevoir l'importante expédition ennemie de très loin. En admettant que les bombardiers repassent la frontière au nord de Bâle où ils sont entrés en France à l'aller, leur itinéraire passe vers Gray où je me porte.
Là, j'attends un moment, et, ne voyant rien venir, je vais faire demi-tour, quand, en cherchant à prendre contact avec le P.C. toujours en panne, j'entends la station d'un autre Groupe de Chasse.
" Allo, 3 zéro 7. Quarante bombardiers remontent la vallée du Rhône, au sud de Lyon. Altitude 4.500 mètres. "
Un coup d'oeil sur ma carte : ils vont passer sur le Jura ; j'ai le temps de faire de l'essence à Dijon et de redécoller pour les intercepter, grâce aux indications de cette station radiotéléphonique de campagne que j'entends merveilleusement bien.
Quelques minutes plus tard, nous atterrissons sur le terrain de la capitale de Bourgogne, entre les trous de bombes. Au milieu de la désolation de cette base à demi détruite et évacuée, il se trouve quand même un camion-citerne d'essence pour compléter nos pleins. Pendant que nous les faisons, la sirène se met à mugir ; je fais décoller Le Calvez aussitôt son plein terminé, puis P… avec ordre de m'attendre au-dessus de la piste et de la couvrir pendant que je termine l'opération pour moi-même et établis les papiers. Je rejoins bientôt mes deux équipiers.
Aussitôt en l'air, j'entends à nouveau " 3 zéro 7 " qui donne l'ordre à une de ses patrouilles de se porter sur Dijon, altitude quatre mille. Je monte à quatre mille cinq et vois arriver cinq Dewoitine 520, les derniers-nés des avions de chasse français, armés d'un canon et de quatre mitrailleuses. Ensemble, nous pouvons faire du bon travail.
Le P.C. inconnu transmet l'ordre de se porter à Pontarlier et donne de précieux renseignements de position sur le peloton de bombardiers que nous devons rencontrer bientôt.
Je suis depuis deux ou trois minutes à la verticale de Pontarlier, quand je retrouve mes fidèles Dewoitine qui se présentent cinq cents mètres plus bas. Soudain, j'entends un dialogue qui m'amuse :
" Allo ! Allo ! 3 zéro 7, j'aperçois trois monoplaces au-dessus de moi I... " - " Allo, ici 3 zéro 7, que dites-vous ? " - " J'aperçois trois monoplaces... " - " Qu'est-ce ? " - " Ce sont sans doute des Anglais. " (Oh I innocence du combattant ! Des Anglais dans le Jura, alors que la perfide Albion a gardé égoïstement presque tous ses chasseurs dans son île, pendant que les pilotes de chasse français étaient submergés par les avions du Reich.)
" Allez les reconnaître, mais ne vous battez pas. "
Je m'efforce de faciliter la tâche du chef de patrouille en réduisant les gaz et en lui montrant le plus possible mes cocardes. Il signale quelques instants plus tard :
" Ce sont trois Curtiss. "
J'entends dans la station radio une conversation où les speakers se demandent à quel Groupe de Chasse nous pouvons appartenir. Évidemment, en principe, nous n'avons rien à faire par ici, mais plutôt que de rentrer à Saint-Dizier sans avoir été engagé, avec ma patrouille, malgré tout dépensée, puisqu'il faudra refaire nos pleins et nous donner un peu de repos avant de nous relancer dans l'atmosphère, j'ai préféré essayer de réussir cette interception à peu près sûre, en raison des renseignements précis qui nous sont transmis.
Nous défendons la France ici aussi bien que dans la région de Saint-Dizier ; pourtant j'ai comme un pressentiment que cela ne nous portera pas bonheur, mais ce ne sera pas une impression qui nous empêchera d'attaquer à fond selon la méthode de l'Escadrille.
Nous ne restons pas longtemps en surveillance ; une quantité de bombardiers apparaissent dans le sud-sud-est et nous nous y portons, vitesse toute naturellement.
Je laisse aux Dewoitine, qui travaillent dans leur fief, la liberté de manœuvre en demeurant légèrement au-dessus d'eux. Ils se présentent par l'arrière et attaquent le centre et l'aile droite. Aucun inconvénient à ce que je me porte sur l'aile gauche, et je fonce en un piqué qui me place à cent cinquante mètres derrière le Heinkel 111 extrême gauche, pendant que je vois les D. 520 dégager sur la droite après leur première passe et revenir vers le peloton. Je tire rafale sur rafale et, en quelque dix ou quinze secondes, le Heinkel visé commence à perdre du terrain et à fumer. Son compte est réglé ; il sera rapidement achevé, malheureux isolé, mais je ne le saurai que par mes équipiers. A ce moment, en effet, je perds connaissance...
Quelques secondes, et je retrouve une ombre de conscience ; la main que je passe sur mon visage est rougie par le sang. Mes gestes lents et pesants exigent un immense effort. La main gauche sur la manette des gaz que je ne pense pas même à réduire, le manche à balai abandonné, je fixe le tableau de bord comme pour chercher à comprendre. Dans un voile rose, mon oeil accroche l'aiguille de l'indicateur de vitesse : elle tourne, tourne, dépasse la verticale. Un éclair de lucidité : six cents kilomètres à l'heure, je suis en piqué. Plein moteur ? Je n'en sais rien.
Toute ma volonté se tend vers un but : sauter. Mes dernières forces m'abandonnent invinciblement. Ma main qui glisse sur la manivelle dégouttante de sang, tourne lentement, péniblement, pour ouvrir la cabine pendant que je fais jouer le dispositif qui me libère des bretelles et ceinture. Je tombe vers l'avant. Me poussant lourdement au-dehors, je sors le bras gauche qui est retourné par la vitesse pendant que je me sens brutalement collé au dossier. L'avion doit continuer sa chute vertigineuse. Un suprême effort, et je m'arrache à mon fidèle 151.
Mon corps heurte le plan fixe, tournoie dans le vide. Un dernier éclat de raison : ne pas ouvrir le parachute trop vite, car il se déchirerait sous l'effet de la vitesse ; ne pas l'ouvrir trop tard, car je m'écraserais au sol, et je m'évanouis complètement, laissant à mes réflexes le soin de commander à mon seul bras valide de tirer sur la poignée d'ouverture que je cherche confusément sur ma poitrine...
Je suis revenu à moi dans une ambulance aux ressorts déficients, pour dire au chauffeur de marcher moins vite afin de diminuer les cahots, à quoi un infirmier consolant m'a répondu, après m'avoir demandé si j'étais bien Français : " T'en fais pas, mon vieux, t'es sauvé. "
Opinion réconfortante peut-être par sa familiarité, mais toute personnelle, si j'en crois les diagnostics émis quelques heures plus tard par les médecins de l'hôpital de Pontarlier, alors que je gisais, la face criblée d'éclats dont le principal avait découpé à l'emporte- pièce, entre les deux yeux, un trou grand comme une pièce de dix sous, et s'était arrêté, miraculeusement coincé à cinq centimètres de profondeur, sans avoir touché le cerveau, des dents cassées et la mâchoire douloureuse, le bras gauche presque totalement paralysé, une fracture ouverte à la jambe gauche, péroné et malléoles cassés, et le corps entier perclus de courbatures et meurtri de coups.
Opéré de suite de la jambe et magnifiquement soigné, j'eus le lendemain la visite du Commandant Nast avant d'être évacué sur Lyon pour y être opéré de la tête. Je n'étais pas au bout de mes émotions.
Transporté dans un peut avion sanitaIre, nous sommes partis tard. L'avion n'avance pas et le voyage me semble interminable à cause des vibrations douloureuses, quand j'entends le pilote dire que la brume tombe avec le soir ; je connais la région et j'indique au Lieutenant-Médecin Brochard qui m'accompagne que le terrain d'Ambérieu est souvent dégagé quand celui de Bron est bouché. Il me tranquillise, ou du moins essaie de le faire. Pour l'heure, je souffre de me sentir absolument inutile : je ne peux pas m'asseoir, et mes pansements me rendent tout à fait aveugle.
Nous approchons de Lyon, quand le pilote déclare qu'il est ennuyé, car l'obscurité est venue et il n'a jamais volé de nuit.
Cet aveu me fatigue, car au point où j'en suis, épuisé totalement, je sens que je ne résisterais plus à un accident, même bénin ; néanmoins, j'essaie de mettre toutes les chances de notre côté et je fais dire au pilote, réserviste simplement habitué au tourisme, de descendre en gardant un peu de gaz aux moteurs, et à la vitesse minimum, de façon à ne pas emboutir durement.
Il me répond " oui " comme on répond à un malade qui n'a pas toute sa connaissance, fait un tour de piste et se présente pour atterrir sur la piste sans lumières.
Impression désagréable ; pourvu que l'appareil ne rencontre pas d'obstacle ou n'atterrisse pas dans un entonnoir. Soudain, le pilote réduit complètement les gaz, contrairement à ce que je lui conseillais ; je n'ai pas le temps de protester qu'un choc violent se produit, me secouant horriblement, et l'avion rebondit si haut que le pilote est obligé de remettre les gaz et refait un tour de piste dans le noir.
Enfin, au second essai, la prise de contact avec le sol se produit avec quelques " boum ", mais sans casse.
Trente minutes plus tard, je serai accueilli à l'hôpital Grange-Blanche et passerai sur le billard immédiatement entre les doigts habiles de deux sympathiques chirurgiens et entouré du dévouement inlassable des sœurs hospitalières.
C'est de mon lit, en écoutant les communiqués chaque jour plus désolants, que je perdrai bientôt l'espoir d'être guéri assez vite pour intervenir à nouveau à la tête de mon Escadrille.
Mon fidèle Curtiss a, lui aussi, terminé la guerre ; il est arrivé au sol à mille kilomètres à l'heure et s'est enfoui, désespéré.
Les Allemands ne l'auront pas.


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